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L'OPERATION V150

 

L’événement attendu le 3 avril 2007 n’était plus une surprise, vu qu’il a été préparé de longue date et que quelques performances avaient déjà été ébruitées. Mais en dépit des performances constatées depuis le mois de février sur une section de la ligne nouvelle à grande vitesse (LGV) dite « Est européenne », la tentative de record n’était officielle que depuis une semaine lorsque le monde a su qu’un train (sur roues) avait pour la première fois atteint la vitesse de 574,8 km/h. Mission accomplie, puisque le nom de code de l’opération était V150, pour 150 m/s (540 km/h). Et le précédent record, celui de 1990 (515,3 km/h), est largement battu.


A vrai dire, le « petit monde » du secteur ferroviaire se doutait bien de quelque chose depuis début 2006 : le cinquantenaire du record de 1955 (331 km/h) avait fait l’objet de nombreuses manifestations en avril 2005, suivies l’année suivante du vingt-cinquième anniversaire du record de 1981 (380 km/h) et de la mise en service du TGV. En septembre 2006, pour cette dernière occasion, l’esplanade parisienne du Trocadéro avait même été occupée le temps d’un week-end par une exposition de la SNCF, dont la vedette était une motrice du futur TGV POS (Paris-Ostfrankreich-Süddeutschland), version du TGV qui - comme son nom l’indique en allemand - est capable de relier Paris au sud de l’Allemagne par l’est de la France. Malgré sa « tête connue », cette motrice représentait déjà un pas en avant par rapport à la génération précédente, puisqu’elle adopte une chaîne de traction à moteurs asynchrones triphasés (de 1 250 kW) alimentés par convertisseurs à IGBT, en lieu et place de la motorisation synchrone choisie pour tous les TGV produits ces 20 dernières années (à la notable exception des Eurostar, à motorisation asynchrone).

Alors que le grand public se pressait entre le Trocadéro et la Tour Eiffel pour voir la dernière motrice et que « ceux qui savaient » finissaient de deviner la configuration de la rame du record, suppositions et rumeurs convergeaient : en 1981 comme en 1990, un record de vitesse a été battu quelques mois avant l’inauguration d’une ligne nouvelle. Et la LGV Est, qui devait accueillir ses premiers TGV le 10 juin 2007, présentait toutes les caractéristiques qui en faisaient la candidate idéale pour un nouveau record, en particulier son tracé particulièrement rectiligne aux confins de la Champagne et de la Lorraine. Rectiligne, du moins sur les cartes ; car dans la troisième dimension, les dénivelées ne manquaient pas et pourraient d’ailleurs être mises à profit pour donner un « coup de pouce » à la performance ! Plus le temps avançait, plus les contours de la rame du record se précisaient : deux motrices POS encadreraient la formation, réduite à trois voitures, qui ne seraient plus vraiment des remorques, car deux bogies intermédiaires seraient également motorisés. En effet, deux voitures au moins seraient nécessaires pour former une rame, car entre deux motrices TGV, reposant chacune sur deux bogies, la première (R1, 1e classe) et la dernière voiture (R8, 2e classe) présentent la particularité d’avoir un bogie bien à elles, côté motrice, et un bogie « articulé », partagé avec la voiture voisine. Avec trois voitures, on dispose de deux bogies articulés ; porteurs (c’est à dire non motorisés) sur un TGV « normal », ces bogies représentent pour Alstom l’occasion de mettre en valeur la motorisation répartie (plusieurs moteurs de traction sont répartis le long d’une rame), qui s’oppose à la motorisation concentrée jusqu'à présent en vigueur sur les TGV (moteurs de traction sous les deux motrices, voire dans le bogie extrême de le première et de la dernière voiture). C’est la motorisation répartie qu’Alstom compte bien mettre en œuvre dans sa prochaine génération de trains à grande vitesse dite AGV, pour « Automotrice Grande Vitesse ». Avantage commercial de cette solution : toute la longueur du train, et donc des quais, deviendrait ainsi « utile » - ceux qui ont dû courir le long d’un quai avant d’atteindre la première porte d’un TGV apprécieront ! Pour Alstom, c’était aussi l’occasion de présenter sa dernière innovation en matière de motorisation : le moteur à aimants permanents (hâtivement surnommé « la revanche du moteur synchrone »). Montés dans les deux bogies articulés à raison d’un par essieu, les quatre moteurs de traction synchrones à aimants permanents, fermés et autoventilés, pèsent 768 kg pour une puissance unitaire de 800 kW, soit moins d’un kg par kW. En comparaison, les moteurs asynchrones des motrices, ventilés par air forcé et faisant appel à une transmission plus complexe (le fameux « tripode » des TGV), « pèsent » 1,16 kg/kW dans des conditions d’utilisation nominale.Enfin, le choix des trois voitures intermédiaires s’est porté sur des voitures à deux niveaux (Duplex), qui offraient plus de volume pour accueillir les nombreux instruments utilisés au cours des marches d’essais, mais aussi les invités de marque ! La pratique a en effet montré que la signature aérodynamique de trois voitures Duplex n’était guère plus importante que celle de trois voitures à un niveau (en dépit d’un facteur proportionnel à la section des voitures dans le calcul théorique de la résistance à l’avancement d’un train !) Et pour la voiture centrale, partageant les deux bogies articulés motorisés pour l’occasion, le choix s’est porté sur une remorque « bar » (R4), dont le niveau inférieur a été réaménagé pour recevoir les convertisseurs de puissance alimentant les nouveaux moteurs. Au final, la rame V150 se composait donc des deux motrices TGV de la rame POS 4402 encadrant trois remorques Duplex. Une composition asymétrique, destinée à battre le record dans un sens donné : est-ouest, vers Paris. On retrouvait ainsi, dans l’ordre : la motrice de tête (sans captage de courant), la remorque R8 (voiture laboratoire, Agence d’Essai Ferroviaire en haut et Alstom en bas), la remorque R4 (salon équipé d’écrans vidéo en haut, chaîne de traction AGV au niveau inférieur), la remorque R1 (62 places assises pour le transport des invités, local de réunion) et la motrice arrière (avec captage du courant).

En décembre 2006, les paparazzi du rail avaient fini par photographier la rame, alors que certains parlaient déjà d’atteindre la barre « magique » des 600 km/h, soit 19 km/h de plus que le record d’un train à sustentation magnétique (Maglev) japonais. Tous avaient constaté sur les photos que la future rame du record était un peu « haute sur roues », car montée sur des roues de diamètre supérieur à celui des roues neuves « de série » :1 092 mm au lieu de 920 mm. A vitesse de rotation des moteurs égale, la vitesse du train s’en retrouve plus élevée… tout comme ses parties hautes, qui passaient « tout juste » lors de son acheminement sous caténaires 1 500 V continu : heureusement que le record se ferait sur une ligne électrifiée (nominalement) en 25 000 V 50 Hz, où - danger d’amorçage oblige - les distances ont été généreusement aménagées autour de la caténaire. Et sans jeu de mots, la tension de la caténaire a été surélevée sur la section de la LGV Est où les essais allaient avoir lieu, tant au sens mécanique de l’expression (4 t/m au lieu de 2,7 t/m en service normal) qu’électrique (31 000 V). Cette surtension électrique de 24 % a contribué à disposer d’une puissance totale de 19,6 MW pour l’ensemble de la rame (19,1 MW à la jante), les 2 fois 4 moteurs de traction asynchrone des motrices ayant été poussés à 68 % au-dessus de la puissance nominale, contre une surpuissance de l’ordre de 40 % pour les 2 fois 2 moteurs à aimants permanents des bogies articulés. Bien entendu, de telles puissances ne sont atteintes que pendant quelques minutes. Les TGV étant équipés d’une ligne de toiture distribuant le courant capté par l’une des motrices sur l’ensemble de la rame, l’emploi d’un seul pantographe a contribué à la réduction de la signature aérodynamique : la cavité recevant des deux pantographes de la motrice de tête a été fermée, alors que le pantographe spécialisé pour le courant continu a été démonté sur la motrice arrière, où la cavité des pantographe a été « optimisée » et le pantographe restant a été équipé d’un asservissement de la poussée sur la caténaire en fonction de la vitesse. Les améliorations apportées à l’aérodynamique des pantographes (et de leurs cavités) ont également été apportées à d’autres endroits critiques de la rame : carénage de la toiture et des dessous de caisses, pose de bavettes caoutchouc aux césures entre les remorques ainsi qu’entre les remorques d’extrémité et les motrices, baisse de la garde au rail sous les motrices... Autant de mesures qui ont permis de « lisser » la rame et de diminuer de 15 % sa résistance à l’avancement dans les plages de vitesses qui seraient abordées.

Ainsi équipée, la rame V 150 gagne la LGV Est en janvier et entame ses marches d’essais sur le tronçon entre les kilomètres 264 et 114, dans le sens Province - Paris (profil en pente globalement plus favorable, mais face aux vents dominants), avec relèvement du dévers de 130 mm dans onze courbes, tensions électrique et mécanique de la caténaire relevées (voir plus haut), blocage des lames mobiles des aiguillages (présents en pleine voie ainsi que dans la gare Meuse TGV, au kilomètre 213), meulage de la surface du rail et grand soin apporté au niveau du ballast afin d’en empêcher l’envol au passage du train en pleine vitesse, la conséquence du moindre impact pouvant être extrêmement préjudiciable.

Début février, les « fuites » et mesures effectuées par les témoins présents le long de la voie (et témoignant sur Internet !) semblaient bien indiquer que le précédent record était égalé ou battu. Gros titres le 14 février : la veille, 553 km/h (ou 554,3 km/h selon les sources) auraient été atteints entre les kilomètres 194 et 191. Mais comme il n’y a pas eu d’homologation, il ne peut pas y avoir eu de record ! Du côté des trois associés dans l’opération V 150 - Alstom, RFF et la SNCF - mieux vaut garder le silence, d’autant plus que quelques capteurs auraient été perdus le 13... Et une semaine plus tard, c’était reparti : environ 557 km/h constatés à partir des mesures au sol., avant au moins une nouvelle performance à 559,4 km/h. Car les essais se poursuivent. L’archet du pantographe est changé une première fois en février. Puis la rame gagne le Technicentre de l’Ourcq, nom donné au centre de maintenance qui accueille, aux confins de Pantin et de Bobigny (Seine-Saint-Denis), les rames TGV appelées à desservir la LGV Est. Et le 26 mars, la V 150 apparaît officiellement sous une nouvelle livrée pelliculée sur ses flancs, ses faces et sa toiture, symbolisant un écoulement aérodynamique.Les marches à grande vitesse reprennent, toujours plus rapides.

Mais le 28 mars, la rame V 150 bat sans le vouloir un record dont elle se serait bien passé : le freinage d’urgence le plus rapide de l’histoire, déclenché à un peu plus de 500 km/h par le détachement soudain d’un flasque censé protéger des jauges extensométriques collées sur une des roues. Sur son parcours incontrôlé, ce flasque a perforé la conduite générale du train, c’est à dire la conduite pneumatique sous pression qui, mise à l’atmosphère, provoque le freinage du train. Celui-ci s’est bien déclenché : le train a mis 15 km pour s’immobiliser et les garnitures de frein mécanique (à disque) ont tenu !

La première des dates retenues pour la marche officielle du record était le 3 avril, du moins en cas d’absence de vents traversiers défavorables. Et au vu des bulletins météo, ce serait bien cette date et pas une autre. Munie d’un nouvel archet prêt à faire passer jusqu’à 800 A sous 31 kV, la rame effectue son premier tour de roue à 13 h 01, au km 264 (Meurthe-et Moselle) et accélère rapidement. Lancée à pleine puissance, la V 150 pulvérise en 10 minutes le record de 1990, avant de franchir les aiguillages de la gare Meuse à 530 km/h et atteindre la vitesse de 150 m/s. Première mission accomplie : reste maintenant à atteindre la vitesse volontairement limitée à 570 km/h -0/+5 km/h (eh non, il n’était pas question d’égaler les 581 km/h du Maglev japonais...) Entre 13 h 13 et 13 h 14, la rame roule donc dans la marge allouée de 5 km/h au dessus de 570 km/h et semble atteindre 574,6 ou 574,7 km/h autour du kilomètre 193,9. Alimentation coupée, le TGV roule ensuite sur l’erre...Arrivée triomphale à la gare Champagne-Ardenne, quelques minutes plus tard : le record est officiellement de 574,8 km/h et Eric Pieczak, le conducteur de la rame, est le héros du jour.

Tous posent sur la photo et quelques petits malins se demandent pourquoi le record a été battu en roulant à droite et non à gauche, sens normal de circulation des trains français (sauf Alsace et nord de la Lorraine). Rien de politique, en ce mois électoral : le choix de la voie 1, normalement utilisée dans le sens Paris - Province, aurait été dicté par sa géométrie (rayons), les aiguillages à franchir, voire la position du soleil à 13 h 00, heure d’été pour prendre des photos sur lesquelles le train de serait pas caché par les poteaux de caténaires !Pendant une vingtaine de jours après le record, les marches à plus de 500 km/h se sont poursuivies (avec un nouvel archet de plus), permettant de poursuivre l’enregistrement de données inédites qui pourront être exploitées pour développer les trains du futur. L’occasion également d’inviter des hôtes de marques, qui pourraient être les clients de demain pour la technique ferroviaire française. Car Alstom, la SNCF et RFF ne se sont pas partagés un budget de 30 millions d’euros (dont 200 euros seulement pour l’électricité consommée lors du record) pour le simple plaisir de passer en direct dans les journaux télévisés de 13 h 00 ! Sur 28 marches d’essais, l’opération V 150 aura permis de parcourir 728 km à plus de 500 km/h... (EN)

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